Régions viticoles classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Clos de la République, Epesses

ÉTUDE DE MARCHÉ – Les vignobles suisses sous pression

Certaines régions viticoles, comme ici Lavaux, classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO,
bénéficient d’une aura particulière. Photo : DR Clos de la République, Epesses

THOMAS SCHNETZER

Selon l’Office fédéral de l’agriculture, le recul de la consommation de vin a été quelque peu freiné durant l’année 2023. Les vins suisses ont même gagné des parts de marché. Différents indicateurs montrent toutefois que la tendance négative va se poursuivre, ce qui pourrait faire diminuer le vignoble d’environ un sixième d’ici 2034.

 

Les habitudes de consommation changent et l’on boit de moins en moins de vin depuis plus de 30 ans. La plupart des pays européens connaissent une évolution comparable. Cela explique notamment le renforcement de la promotion des ventes des producteurs étrangers en Suisse. Selon notre expérience, ce sont les acteurs orientés marché qui résisteront à cette tendance négative.

Pour être compétitif, il est essentiel de comprendre en profondeur les profils des clients existants et potentiels. A ce sujet, les chiffres d’économie vitivinicole de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) et l’étude de segmentation des consommateurs suisses de vin (SCV) fournissent des informations sur le marché. Cet article se concentre sur des périodes concevables de 20 ans dans le passé et de 10 ans dans l’avenir.

Entre 2004 et 2023, la consommation de vin par habitant dans notre pays a diminué d’un quart, soit de 15 bouteilles, et arrive à 32,1 litres par an, y compris les vins mousseux importés. La consommation totale a diminué de 9 % seulement durant la même période (fig. 1), certainement influencée par la migration. La diminution de la consommation de vin est provoquée surtout par la tendance en matière de santé, la charge mentale au travail ou une plus grande prudence sur la route.

 

Fig. 1 : Evolution de la consom­mation de vin depuis 2004 en Suisse, y compris les vins mousseux importés. (Sources : OFAG et OFS pour les chiffres de la population)

 

NOUVELLES HABITUDES ALIMENTAIRES ET CONSOMMATION DE VIN

Les chiffres de l’OFAG indiquent aussi un déplacement des préférences. Ainsi, les gens boivent de plus en plus de vin blanc et de vin mousseux importés, respectivement 5 % et 84 % de plus qu’en 2004. En 2023, seuls 3 % des vins mousseux proviennent de la production nationale. Le vin rouge perd nettement en popularité : en 2023, on en buvait 20% de moins qu’il y a 20 ans. La baisse la plus forte a été enregistrée pour les vins importés (‑25 %) et pour les produits indigènes (‑9 %).

L’évolution de la culture culinaire ainsi qu’un élan des profils de vin préférés vers des vins accessibles et riches en expérience, participent à ce changement. En effet, le vin est aujourd’hui acheté plus spontanément pour les occasions prévues et moins souvent pour le stocker en cave. En outre, plus les gens sont jeunes, plus ils se nourrissent de plats préparés (fig. 2) ; le verre de vin ne semble pas y avoir sa place. Le vin rouge, considéré comme un véritable compagnon de repas, en souffre tout particulièrement.

 

Tendance vers les plats préparés. (Source : Fuhrer & Hotz, Etude Convenience Suisse 2023)
Fig. 2 : Tendance vers les plats préparés. (Source : Fuhrer & Hotz, Etude Convenience Suisse 2023)

 

 

La consommation de vin par habitant augmente avec l’âge. (Source : SCV)
Fig. 3 : La consommation de vin par habitant augmente avec l’âge. (Source : SCV)

 

UNE QUESTION D’ÂGE AUSSI

Les modèles de comportements de consommateurs de vin, dont il existe plusieurs types, évoluent au fil du temps. Une comparaison des études SCV de 2011 et de 2023 révèle une dynamique active sur le marché en ce qui concerne les motifs et les comportements de consommation. L’expérience montre que de tels changements se produisent de manière insidieuse, même au sein de sa propre clientèle.

La SCV promet également des lueurs d’espoir : la consommation de vin augmente avec l’âge (fig. 3), même si elle se situe à un niveau inférieur à celui des personnes du même âge il y a deux décennies. Les générations des baby-boomers (1946‑1964) et des silencieux (1928‑1945) ainsi qu’une partie de la génération X (1965‑1980) incarnent les piliers actuels de la consommation de vin, en achetant près de la moitié du vin en Suisse (fig. 4).

Des déclarations de producteurs et de négociants en vin permettent de conclure que la génération Y, aujourd’hui âgée de 29 à 44 ans, est particulièrement intéressante pour le secteur viticole du point de vue qualitatif. Elle opte souvent pour de bons vins, répondant ainsi à la tendance premium, mais elle est moins fidèle.

Les consommateurs âgés de plus de 56 ans représentent aujourd’hui un peu plus de la moitié des consommateurs de vin en Suisse. (Source : SCV)
Fig. 4 : Les consommateurs âgés de plus de 56 ans représentent aujourd’hui un peu plus de la moitié des consommateurs de vin en Suisse. (Source : SCV)

 

INFLUENCE DE L’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE

L’évolution ultérieure de la consommation totale dépendra de la quantité future de consommateurs de vin. Les scénarios démographiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS) fournissent des chiffres à ce sujet. Conformément à l’évolution de la consommation en fonction de l’âge (fig. 2), le présent article se concentre sur la tranche d’âge potentielle d’achat de 25 à 80 ans. D’ici 2034, il devrait y avoir 6,6 millions de personnes, soit environ 400’000 de plus qu’aujourd’hui, mais très probablement moins attirées par le vin.

Au cours des dix prochaines années, le groupe des baby-boomers, qui auront alors entre 70 et 88 ans en 2034, diminuera de 40% dans la tranche d’âge concernée par la consommation de vin (fig. 5). Selon le scénario démographique moyen de l’OFS, cette diminution s’accélérera dès 2027.

 

Le nombre de baby-boomers dans le segment de 25 à 80 ans lié à la consommation diminue de 40 % d’ici 2034.
Fig. 5 : Le nombre de baby-boomers dans le segment de 25 à 80 ans lié à la consommation diminue de 40 % d’ici 2034.

 

IMPACT SUR DIFFÉRENTS SECTEURS

La tendance de la consommation se répercute déjà sur les chiffres d’affaires et revenus de la branche viticole ainsi que sur ses fournisseurs, comme Vetro­pack, qui a fermé son usine à St‑Prex. Que signifie l’évolution future pour les entreprises de production et les vignobles de notre pays ? Les données de l’OFAG, issues de l’Année viticole, et publiées chaque année, constituent la base des scénarios des tendances de la consommation de vin jusqu’en 2034. La fourchette des surfaces nécessaires se déduit des rendements moyens à l’hectare des années 2014 à 2023.

Il est probable que le marché maintienne son évolution de manière continue et non brutale jusqu’en 2034, à moins que des événements particuliers surviennent dans le contexte politique, social ou économique. Dans 10 ans, les Suisses boiront probablement encore entre 26 et 28 litres de vin par an, soit un cinquième de moins qu’aujourd’hui (fig. 6). La consommation totale diminuera vraisemblablement d’environ 10 %.

 

Tendance de la consom­mation par habitant en Suisse jusqu’en 2023, y compris les vins mousseux importés.
Fig. 6 : Tendance de la consom­mation par habitant en Suisse jusqu’en 2023, y compris les vins mousseux importés.

 

LE VIN ROUGE, ENFANT FRAGILE DE LA BRANCHE

S’il continue à dominer la consommation de vin en Suisse, le vin rouge reste l’enfant fragile de la branche viticole, et la tendance à la baisse se poursuit. D’ici 2034, il faut s’attendre à une baisse de 20 à 25 % de la consommation totale de vin rouge et à environ -15 % pour les vins rouges indigènes. Les vins mousseux importés semblent connaître une croissance ininterrompue, avec une augmentation de 30 % de leur consommation en 2034. Sur la base des données disponibles, il n’est pas encore possible de savoir où se dirigeront les vins blancs tranquilles (qui ne forment pas de bulles à l’ouverture de la bouteille) suisses et étrangers. Les scénarios vont d’une stabilisation de la consommation à un léger recul.

 

LA DEMANDE SUIT LES TENDANCES

On peut partir du principe que la plupart des producteurs suisses ne suivront pas ou ne pourront pas suivre pleinement les nouvelles tendances en matière de produits alternatifs tels que les vins sans alcool ou à teneur réduite en alcool. Selon nos enquêtes, seuls quelques producteurs nationaux pourront profiter de la croissance des boissons mousseuses en termes de volume, ceci en raison des prix du marché de masse, des coûts, des cépages adéquats et de l’image de la concurrence étrangère. Ces hypothèses auront un impact sur la demande du marché et, finalement, sur les besoins en raisin au cours des dix prochaines années.

 

UNE TAILLE QUI DIVISE

L’évolution de la surface viticole dans notre pays ne constitue pas un phénomène nouveau et a très souvent été dictée par la demande. Depuis 2004, elle a augmenté de 10,2 % en Suisse italienne et de 2,5 % en Suisse alémanique. En Suisse romande, en revanche, la surface viticole a reculé de 4,8 % durant la même période, phénomène influencé notamment par le Valais, avec une perte de 544 hectares, par des ventes pour des projets immobiliers et par l’abandon pour des raisons économiques.

 

CHANGEMENTS DANS LES RÉGIONS

Les projections indiquent qu’en 2034, les besoins en surfaces viticoles dans notre pays seront inférieurs d’environ 15% à ce qu’ils sont aujourd’hui (fig. 7). La Suisse romande, de loin la plus grande région de production, enregistre une baisse d’environ 25% de la consommation de ses vins depuis 2004, selon les chiffres de l’OFAG. Dans les régions francophones du pays, il y a un risque pour 1500 à 1900 ha d’ici 2034, pour 200 à 400 ha en Suisse alémanique et pour 60 à 100 ha en Suisse italienne. La politique est appelée à intervenir pour qu’un retrait ordonné ait lieu dans tous les cantons concernés, et qu’il n’y ait pas de patchwork dans le paysage viticole, afin que les vignobles puissent encore être travaillés de manière rationnelle à l’avenir.

 

Effet envisageable de la baisse de la consom­ma­tion sur la surface viticole suisse.
Fig. 7 : Effet envisageable de la baisse de la consom­ma­tion sur la surface viticole suisse.

 

CHAMP D’ACTION : CONSOMMATEUR

La connaissance de ses propres clients et groupes cibles représente une condition préalable clé pour le succès, le positionnement sur le marché et l’attractivité d’une entreprise, afin de savoir, par exemple, quels types de vins sont souhaités, doivent être produits ou emportés lors d’un salon.

Il est nécessaire d’agir, en particulier en Suisse romande, qui constitue la principale région viticole du pays. Il est également essentiel de comprendre que la Suisse alémanique représente le principal débouché du marché. Pour influencer l’achat, il convient donc de produire des vins correspondant aux préférences des consommateurs. C’est ce que montre le SCV, publié par l’Association Suisse du Commerce des Vins.

 

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